Hommage à Mehdi Kessaci : le deuil et la colère
Après l'assassinat de Mehdi Kessaci à Marseille, le choc a laissé la place à la colère, au deuil, et aux hommages. Mais alors que nous pleurons avec Amine Kessaci son deuxième frère tombé sous les balles des narcotrafiquants, l'heure est aussi à la justice, à la réflexion et au combat. Car cet assassinat est un drame français.
Ce week-end, avec des milliers de personnes, nous avons rendu hommage à Mehdi Kessaci à Marseille, comme des dizaines de milliers d’autres l’ont fait dans tout le pays.
Mehdi Kessaci a été lâchement assassiné le 13 novembre dernier à Marseille, abattu de six balles dans le thorax par des tueurs professionnels masqués, sans doute payés une broutille par des narcotrafiquants. Il n’avait que 20 ans.
Je ne le connaissais pas. Tout ce que je sais de lui, je l’ai appris par son grand frère, Amine Kessaci, avec lequel nous cheminons depuis un petit bout de temps maintenant.
Quand j’ai rencontré Amine en mars 2023 à Marseille dans les locaux de son association Conscience, il m’a raconté l’histoire de son frère Brahim, un autre de ses frères, lui aussi assassiné à l’âge de 22 ans dans des circonstances atroces. Amine avait alors décidé de s’engager contre le fléau qui l’a emporté - le narcotrafic, dans le quartier de Frais-Vallon. Ce jour-là, en 2023, j’ai rencontré plein de mamans déterminées à honorer la mémoire de leur enfant arraché mais aussi à tout faire pour protéger ceux qui restent.
Cette fois-ci, voilà qu’Amine a aussi perdu son frère cadet Mehdi, un jeune homme inconnu des services de justice comme de police, qui aspirait justement à devenir gardien de la paix. Il avait travaillé tout l’été pour se payer sa première voiture et allait commencer un stage à La Poste. S’en prendre à lui est d’une lâcheté sans nom. C’est aussi un cap supplémentaire franchi dans la violence liée au narcotrafic, même si les intimidations ne sont, elles, pas nouvelles.
Que faire quand l’horreur survient ? Parler, alors qu’aucun mot ne saura jamais décrire la douleur que l’on ressent ? Agir, alors qu’on est figé par la tristesse, la colère, la culpabilité ? Par deux fois, Amine a trouvé la force de surmonter une peine inimaginable.
Récemment encore, dans son livre au titre si prémonitoire, Marseille, essuie tes larmes, vivre et mourir en terre de narcotrafic, il a pris la parole pour raconter l’histoire des quartiers nord et de ses habitant·es confronté·es quotidiennement au trafic de drogue. Amine y entame un dialogue posthume avec son frère aîné. C’est une longue lettre d’amour, de douleur et de révolte, qui m’a bouleversée.
Amine l’a dit, il ne se taira pas. Le combat contre le narcotrafic sera l’histoire de sa vie parce qu’il ne peut pas en être autrement. Il la mènera, cette “lutte à mort”. Pour honorer la mémoire de ses frères. Pour ne rien céder à leurs meurtriers.
Et nous, sa famille politique, Les Écologistes, nous serons à ses côtés. Hier, aujourd’hui, demain et tous les jours qui suivront. Amine est aussi humble qu’il est courageux. La leçon de force et d’amour qu’il a donnée à tout le pays la semaine dernière, peu en sont capables.
Un tel courage impose le respect et nous place face à nos responsabilités. Car qui serions-nous pour laisser un seul homme en première ligne face à des réseaux criminels aujourd’hui surpuissants ?
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Une chose est sûre : les problèmes liés à la drogue ont changé d’ampleur, les pouvoirs publics sont donc dans l’obligation de changer de braquet.
Mais avec quelle stratégie au juste ? Darmanin et Retailleau, eux, ont la leur : vocabulaire martial, promesses de fermeté, mise en scène d’un État en proie à une prétendue “mexicanisation” et qui se dresse face aux “narcoracailles”. Un dispositif répressif est indispensable, mais activons-nous les bons leviers ? Je ne pense pas.
Entre 2023 et 2024, près de 500 opérations dites « place nette » ont été menées. 50 000 policiers et gendarmes mobilisés. Des descentes massives, des portes défoncées, des appartements fouillés de fond en comble, des contrôles d’identité à la chaîne.
Et à la fin, quoi ? Quelques millions d’euros saisis. À peine une quarantaine de kilos de cocaïne. C’est peu. C’est même dérisoire à l’échelle d’un trafic devenu mondialisé, structuré, industriel. 700 personnes ont également été déférées suite à ces opérations. Mais de qui s’agit-il ? Certainement pas des têtes de réseau, plutôt des petites mains, le prolétariat du trafic. Des guetteurs. Des vendeurs. Des silhouettes anonymes, remplaçables en quelques heures.
En quelques années, le budget consacré à la lutte contre les trafics de stupéfiants est passé de 500 millions à près de 2 milliards d’euros. Mais dans les faits, ce qu’on finance massivement, c’est la répression des usagers. Dans ce pays, toutes les quatre minutes, une personne est interpellée pour usage de cannabis.
Pour quels résultats ? Un adulte sur deux a déjà consommé du cannabis, c’est 27% au niveau européen. Et la France compte aujourd’hui 900 000 consommateurs quotidiens. En 30 ans, l’usage du cannabis a doublé, tandis que celui de la cocaïne a été multiplié par 10. Nous avons les statistiques les plus répressives d'Europe, mais aussi les taux de consommation les plus élevés du continent… Cherchez l'erreur. Et pendant que les dossiers de ce fiasco français s’empilent, que la police et la justice s’épuisent, les réseaux, eux, continuent de prospérer. Business as usual.
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Ces choix politiques n’ont permis d’empêcher ni l’extension, ni l’enracinement du narcotrafic. Celui-ci n’épargne plus aucun territoire : les grandes villes, les villes moyennes, les ruralités, les territoires d’Outre-mer - en Guyane, aux Antilles… tous sont à leur tour happés par cette violence.
Les narcotrafiquants prospèrent toujours sur les failles sociales et les manques de l'État. Et dans nombre de nos quartiers populaires laissés à l’abandon, ces failles sont béantes. Lorsque les services publics ne sont plus accessibles, il suffit parfois aux narcotrafiquants de proposer ce qui fait défaut pour créer du lien social et conforter un peu plus leur mainmise sur ces territoires (l’exemple de la mise à disposition de piscines et de jeux par des dealers en été est à ce titre assez édifiant).
Et ce sont les habitant·es des quartiers populaires qui paient l’échec de ces politiques. Des jeunes. Souvent, des enfants aux prises avec un système qui les oblige à grandir au milieu de la violence - violence sociale, violence raciste, violence administrative. Autant de vulnérabilités dont se nourrissent des organisations criminelles qui, elles, savent exactement ce qu’elles font.
Aujourd’hui, six personnes sur dix mises en examen pour assassinat ou tentative d’assassinat en lien avec le trafic de drogue ont entre 14 et 21 ans. Acteurs malgré eux de cette spirale, les enfants en sont aussi les premières victimes. Le 15 novembre dernier, à quelques centaines de mètres d’un point de deal, un enfant a été criblé de balles : une dans le dos, deux dans les jambes. Il n’a que 12 ans, c’est un mineur non accompagné, il est encore aujourd’hui dans le coma.
Des enfants qui tirent sur des enfants. Et autour d’eux, des familles emportées dans des épreuves d’une violence et d’une injustice que personne ne devrait jamais avoir à traverser.
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Face à cette mécanique implacable, nous continuons d’appliquer les mêmes recettes. Comme si l’accumulation de drames ne suffisait pas à nous faire comprendre que ce qui est tenté aujourd’hui ne protège personne.
Il nous faut changer de paradigme. La priorité devrait être évidente : frapper là où ça fait le plus mal - au portefeuille. S’en prendre au haut de la pyramide. Démanteler les réseaux. Saisir leurs biens. Couper leurs circuits financiers. On saisit encore trop peu, trop tard, trop mal.
Pour lutter efficacement contre le narcotrafic, il est essentiel de comprendre les flux financiers qui l'animent. Cela nécessite de dresser une cartographie précise de l'utilisation des richesses produites par le trafic, afin de cibler les mécanismes de blanchiment et d'optimisation financière utilisés par les trafiquants. En identifiant ces flux, nous pouvons agir rapidement pour confisquer leurs biens et avoirs, et ainsi priver les narcotrafiquants de leurs ressources. La traque de ces flux financiers doit être une priorité absolue.
Alors oui, mais comment faire ? Une chose est sûre : face à une armée équipée, on ne mène pas bataille à mains nues ou avec des armes d’un autre temps. Donnons à la police et à la justice les moyens réels de leurs missions ! Des effectifs formés, spécialisés. Des outils technologiques dignes de ce nom. Des magistrats en nombre suffisant. Des lanceurs d’alerte réellement protégés. Des coopérations internationales solides avec les pays dont on sait qu’ils servent de refuges aux têtes de réseau. Et avec ceux qui produisent la drogue, mettons en commun nos moyens et méthodes.
De vrais moyens de contrôle aussi, notamment dans les ports. Car la question maritime et portuaire est cruciale dans la logistique et la lutte contre les '‘routes de la drogue’’. La généralisation des contrôles, entre autres par les scanners de containers et camions, implique la décision de ‘’ralentir’’ le commerce mondial légal, c’est un choix politique à assumer.
Enfin, sortons d’une vision uniquement punitive de la drogue. Tant qu’on se contentera de punir, on ne fera qu’alimenter le marché clandestin. Ce n’est pas en culpabilisant les consommateurs que nous sortirons du piège du narcotrafic. On ne combat pas efficacement des addictions, qui sont un problème de santé publique, en se contentant de les diaboliser moralement, en les punissant pénalement et en ne se préoccupant pas de la prévention, de la réduction des risques et de l’accès aux soins de tous, partout sur le territoire. Se donner les moyens d’une politique ambitieuse de prévention, ce n’est pas du laxisme : c’est du pragmatisme. C’est ce qui protège réellement les consommateurs.
C’était d’ailleurs pour nous, Ecologistes, le principal angle mort de la loi contre le narcotrafic adoptée en juin 2025 au Parlement : il n’y a rien, absolument rien dans ce texte sur la prévention, la santé publique, la protection des jeunes. Or, la lutte contre le poison du narcotrafic doit être globale. Sans coordination entre politiques sociales, sécuritaires et sanitaires, le trafic de drogue continuera de prospérer.
Quand une politique publique est dans l’impasse en termes de résultats, il faut savoir la faire évoluer, au risque de prolonger l’échec indéfiniment, sans faire reculer le pouvoir des narcotrafiquants dans notre pays.
Amine, lui, ne se résigne pas. Il refuse que la peur devienne la règle et que la mort violente soit un horizon ordinaire pour la jeunesse des quartiers populaires. Son combat ne devrait pas être celui d’un seul homme. Il devrait être celui de toutes et tous.
Nous allons le mener à ses côtés.
Marine